Les alchimies de Sarah Moon
L’arbre en cage ©Sarah Moon
Critique d’exposition - « Alchimies », Muséum National d’Histoire Naturelle, automne 2013
Rêve de flou. De pas net, de bougé. D’échappées. Rêve d’instantané.
Sarah Moon expose en ce moment ses « Alchimies » au Jardin des Plantes. Un lieu rêvé pour cette photographe lunaire, qui se plaît à raviver les images de son enfance dans ses photographies.
Née en 1941 en France, elle est contrainte de quitter le pays avec sa famille d’origine juive, et part s’installer en Angleterre. Elle y débute dans les années 60 une carrière de mannequin, avant de passer de l’autre côté de l’objectif pour devenir photographe de mode.
Sa carrière de photographe démarre véritablement grâce à la campagne pour le parfum « Anaïs Anaïs » de Cacharel, qui lui assure la notoriété et la reconnaissance de la profession. Elle restera quinze ans dans le secteur de la mode, répondant à des commandes prestigieuses pour le magazine Vogue ou encore pour les maisons Dior et Chanel. C’est alors qu’elle décide de s’orienter vers une photographie plus personnelle et artistique.
« À reculons vers le futur »
Sa carrière durant, Sarah Moon est restée fidèle à l’argentique. Plus précisément, au polaroid et, parfois, à cette délicate antiquité qu’est la chambre photographique. Et ce n’est pas près de changer. Comme elle aime à le dire, « l’économie de moyens favorise l’imagination ».
Ses photographies prennent pour modèle des femmes élégantes qui semblent tout droit sorties des années 20, période de son enfance. Femmes graciles et fragiles, belles de nuit faussement ingénues au regard interrogateur.
Pour sa dernière exposition, c’est du Jardin des Plantes dont il s’agit. Dans toutes ses dimensions, minérales, végétales ou animales. Et les animaux, elle les prend tous aussi, « taxidermisés, empaillés, embaumés, [...] vrais ou faux, morts ou vifs, clairs ou obscurs ».
« Je marche à reculons vers le futur ». Ses photos introspectives explorent encore et toujours les subtils recoins et entrelacs de son enfance, des élégantes de l’entre-deux-guerres à la ménagerie du Jardin des Plantes. Généreusement baignées de tons sépia, elles ont le charme désuet du souvenir, de la photo ancienne.
Subvertir le réel
Chaque photographie de Sarah Moon nous confronte à cette interrogation : représente-elle la réalité telle qu’elle se déroule sous son objectif, ou bien la cache-t-elle sous un voile d’artifices ?
Sarah Moon intrigue avec ses clichés vaporeux à la lisère du rêve. Les animaux empaillés du jardin des plantes semblent plus vrais que vrais. Ses compositions florales, des visions imaginaires qui évoquent l’univers d’Alice au Pays des Merveilles. Et c’est tout naturellement que Sarah Moon déclare être passionnée par le thème de l’envers du décor dans le spectacle, lieu par excellence où s’opère la subversion du réel.
Certains clichés noirs et blancs s’apparentent à des gravures de par la profusion de détails qu’ils laissent apparaître. D’autres, en couleur, semblent avoir été peints par grosses touches. Tableaux et gravures seraient-ils des indices formels laissés par la photographe pour mieux nous transporter vers l’univers du récit et du conte ?
Sans compter les petites imperfections laissées çà et là, scories d’un temps révolu, celui du tirage photographique. Traces de sable et autres biffures témoignent de la volonté de Sarah Moon de ne pas figer ses clichés dans une perfection esthétisante.
Conter la réalité telle qu’on ne la voit pas d’ordinaire. D’une rencontre avec le hasard faire jaillir un grain de magie. Sarah Moon, alchimiste accomplie.
À écouter : L’Atelier de Sarah Moon - France Culture
À lire : Le monde lunaire de Sarah Moon - La Croix
— 2013