Céline Boisserie-Lacroix

Lacan et le langage mathématique



 

« Une science qui ne s’appuierait pas sur les mathématiques ne mène strictement à rien et elle ne saurait quitter le champ de l’imaginaire pour aborder celui du réel ». Pour Lacan, l’intégration des mathématiques à la psychanalyse est chose entendue, et ce, dès les années 60. Langage, concepts, images et objets mathématiques font aujourd’hui pleinement partie de la syntaxe lacanienne, tant dans une perspective heuristique que de transmission.

L’enseignement et la pratique de Lacan ont été marqués du sceau de la transdisciplinarité.  Après avoir cherché à structurer l’inconscient comme un langage, en s’appuyant sur les apports de la linguistique, Lacan s’attèle à une nouvelle tâche non moins ambitieuse : construire une algèbre et une géométrie de l’inconscient, qui fourniraient, au-delà de la linguistique, un nouvel ordre logique structurant à sa pratique.

Inspirés par les mythèmes de Levi-Strauss, les « mathèmes » font leur apparition dans le langage lacanien. Loin de prendre la place du structuralisme, ce symbolisme mathématique permet à Lacan de formaliser les concepts qu’il a introduits dans une optique de transmission. C’est ainsi qu’il déclare, dans son séminaire « L’envers de la psychanalyse », que les mathèmes sont l’écriture « de ce qu’on ne dit pas mais de ce qui peut se transmettre ». Et donc, partant, le recours au symbolisme mathématique pour pallier aux insuffisances du langage.

Le langage mathématique a été posé. Reste à définir une géométrie et des objets d’intérêt. Et c’est là que la topologie intervient. Lacan se prend de passion pour cette branche de la géométrie qui étudie les surfaces et leurs déformations dites « continues », c’est-à-dire sans coupure, d’un seul tenant. Au point que des objets topologiques aussi singuliers qu’un tore, le ruban de Möbius, la bouteille de Klein ou encore les nœuds borroméens se fraient peu à peu un chemin dans l’imaginaire lacanien… et donnent forme à sa pratique.

Alors que la linguistique peine bien souvent à dire correctement l’état du sujet, à décrire ses instances psychiques, la topologie fournit à Lacan les figures adéquates pour aider le psychanalyste à suivre le sujet et modéliser son inconscient. Dans le séminaire XIII (1966) : « La topologie c’est l’étoffe dans laquelle il [le psychanalyste] taille, qu’il le sache ou ne le sache pas ». Là encore, dans « Peut-être à Vincennes » (1974) : « Le nœud, la tresse, la fibre, les connexions, la compacité : toutes les formes dont l’espace fait faille ou accumulation sont là faites pour fournir l’analyste de ce qu’il manque […]».

Si l’intérêt de Lacan pour les mathématiques remonte à la fin du XXème siècle, les objets topologiques auxquels il se réfère existent depuis plus d’un siècle. L’exposition « Regards dans les espaces de dimension 3 », issue des imaginaires croisés de mathématiciens et d’artistes, se propose de renouveler le regard des participants sur cette branche des mathématiques. Elle explique notamment quelques concepts élémentaires par une approche sensible et artistique, tout en présentant quelques découvertes récentes en recherche fondamentale. Peut-être, de nouvelles sources d’inspiration pour la théorie et la pratique lacanienne ?


— 2015, Texte d’accompagnement de l’exposition « Espaces Imaginaires », présentée à l’occasion de la VIIème Rencontre Américaine de Psychanalyse d’Orientation Lacanienne, ENAPOL, Sao Paulo


Cargo Collective 2017